La montée vers Jérusalem

13ème dimanche du temps ordinaire de l'année C

Si vous vous intéressez aux problèmes bibliques, vous avez sans doute entendu dire que les Evangiles n’ont pas été écrits du jour au lendemain.
Les intentions des premiers disciples n’étaient pas d’écrire un livre, mais d’annoncer l’Évangile et de créer des communautés.
Mais, en même temps, ces premiers disciples savaient lire et écrire : ils prenaient des notes… et ceux qui les écoutaient prenaient aussi des notes.
Et, très vite, des documents ont circulé dans les premières communautés chrétiennes : un récit d’apparition… une parabole de Jésus… un recueil de sermons… un des textes les plus longs devait être le récit de la Passion.
Certains de ces textes étaient lus pendant l’Eucharistie… c’est ce qu’on fait encore aujourd’hui… c’était leur fonction première alors qu’ils n’avaient pas encore été rassemblés dans un même livre.

On dit (et on écrit) quelquefois que les Évangiles ont été écrits dans les années 70-80 (du premier siècle)… c’est une formule maladroite !
Les premiers chrétiens n’ont pas attendu quarante ans pour écrire les paroles de Jésus… et pour en faire des collections. Les années 70-80, c’est l’époque où les quatre collections de paroles de Jésus se sont fixées telles que nous les lisons aujourd’hui… c’est l’époque de leur rédaction finale.

Il ne faut pas imaginer qu’il y aurait eu une tradition orale pendant des années… et que, plus tard, les évangélistes auraient mis par écrit cette tradition orale !
En fait, les évangélistes étaient des gens qui travaillaient à partir de documents écrits depuis longtemps.
Leur problème, c’est que quarante ans après les événements, ils ne savaient plus très bien comment mettre en ordre ces documents !
Naturellement, ils ont mis le récit de la naissance de Jésus au début de l’Evangile… ensuite l’histoire de Jean Baptiste… ils ont mis à la fin le récit de la Passion, et encore après les apparitions du ressuscité.
Mais, entre les deux, ils avaient tout un ensemble de paroles de Jésus, de paraboles, de récits de guérisons et autres événements… et ils ne savaient pas dans quel ordre les présenter.

Et c’est là que chaque évangéliste a fait un plan ou une présentation qui est différente d’un Évangile à l’autre !
Ils ont mis en ordre, comme ils ont pu, les différents documents qui circulaient dans l’Eglise et qui étaient reconnus comme authentiques.
Et ce qui est remarquable, c’est le respect qu’ils ont eu de chacun de ces documents, même quand ils n’entraient pas tout à fait dans leur plan d’ensemble.

Tout cela pour vous dire que le plan de l’Evangile de Saint Luc est particulier : à partir du ch. 9, que nous venons de lire, la deuxième moitié de son Evangile est présenté comme une montée vers Jérusalem… une montée vers la Passion : «Le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde : il prit avec courage la route de Jérusalem.»
On voit que cette “route de Jérusalem” ne sera pas un chemin facile : Jésus a choisi de donner sa vie !

Sur cette route il n’y aura pas de repos : «Le fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer sa tête.»
L’homme qui lui disait : «Je te suivrai partout où tu iras.»… croyait en Jésus : il le considérait comme le Messie… mais, comme la plupart des Juifs, il croyait sans doute que la montée vers Jérusalem serait une montée vers la gloire… une marche vers la prise du pouvoir.

C’est pourquoi saint Luc a regroupé ici trois paroles de Jésus qui réagissent vigoureusement contre cette illusion… des paroles qui peuvent sembler sévères et insensibles… en fait, ces paroles mettent l’accent sur la rupture nécessaire pour marcher à la suite de Jésus.

Il ne faudrait pas en conclure que Jésus était indifférent… qu’il était hostile à l’amitié… et à l’amour filial ! Ce serait en contradiction avec tout le reste du Nouveau Testament.
Il dit : «Laisse les morts enterrer leurs morts.»
Mais vous vous rappelez ce qu’il disait au jeune homme riche… il lui rappelait les commandements : “Tu respecteras ton père et ta mère.”
Et après la mort de son ami Lazare, saint Jean nous dit que Jésus a pleuré : il n’était pas indifférent à la mort de ses amis… et il ne demande pas d’être indifférent.

Aucune parole de Jésus ne doit nous faire croire qu’il existe quelque chose qui passe avant l’amour.
Ceci étant admis, on peut se demander quel est le sens des réponses un peu abruptes qu’on vient de lire dans cet Évangile.
Et on peut remarquer un point commun dans l’attitude des deux personnages qui veulent marcher à la suite de Jésus :
«Laisse-moi d’abord enterrer mon père… laisse moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison.»

C’est très actuel… On veut bien être chrétien… mais il y a d’abord les études… d’abord la vie professionnelle… d’abord la famille…
On veut bien prendre des responsabilités au service de l’Evangile… mais à condition que cela ne dérange pas nos petites priorités !

Laisse moi d’abord faire ceci ou cela !
Mais Jésus demande la priorité.
Ce message n’était pas nouveau… déjà dans l’Ancien Testament, Dieu demandait la priorité : aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme et par dessus tout… c’est lui donner la priorité.

Jésus n’est donc pas insensible aux personnes… il ne relativise pas l’importance de l’amour de ses proches… mais il nous rappelle la priorité d’un autre amour !
En fait, aimer Dieu par dessus tout n’a jamais été un obstacle ou une limitation à l’amour du prochain… parce que servir Dieu, c’est servir l’Evangile… c’est annoncer aux hommes la Bonne Nouvelle… c’est les attirer vers Dieu… les aider à progresser dans la sainteté et parvenir à la vie éternelle… et il n’y a pas de meilleure façon de les aimer.

«Celui qui a mis la main à la charrue…» : celui qui a décidé de dire «oui» à l’appel de Dieu et de donner sa vie… ne doit pas regarder en arrière !
Sa vie aurait pu être différente… sans être mauvaise… mais, puisqu’il a choisi la meilleure part, il ne doit pas rêver d’autre chose… il ne doit pas envier la liberté de pécher des incroyants… il se gâcherait la vie.
On voit d’ailleurs que Jésus a les mêmes exigences que le prophète Elie.
Elisée avait failli demander un délai avant de suivre Elie… mais il a vite compris… et il s’est rattrapé !

«Celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume.»
Cette parole n’est pas dure… elle veut nous rendre libres.
Celui qui vit dans l’incertitude… celui qui passe sa vie à regretter les choix qu’il n’a pas faits et qu’il aurait pu faire… ne peut pas être en paix.
Ce que Jésus nous demande, c’est une confiance totale.

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